Poussée par une amie, l'éditrice Isabelle Laffont, Didier Decoin décrit dans son nouveau livre, Je vois des jardins partout, ses souvenirs et sa passion pour les fleurs, les arbres et ceux qui savent les cultiver. C'est là que son épouse intervient. Elle connaît le nom latin de chaque plante comme d'autres récitent les tables de multiplication. C'est avec elle, explique-t-il, qu'il part en compagnie de fous furieux, une bande surnommée la "Cinquième Saison", pour dévaliser les nurseries anglaises de plantes rares avant de prendre l'avion en essayant de glisser ces achats fragiles dans des valises bondées. Didier et Chantal sont tombés amoureux de ce coin du Cotentin, de la maison qu'ils occupent depuis trente ans et de son jardin de curé. A défaut de donner de la binette et du sécateur, Didier récolte les idées : "Des lumières, des parfums, des sons que je vais glisser dans le chapitre que j'écrirai, que j'essaierai d'écrire, sitôt que j'aurai fini d'inspecter les pavots et les graminées", précise-t-il. L'homme est donc un rêveur qui va le nez en l'air et les mains dans les poches.
"Le toucher d'une écorce, le parfum d'une feuille froissée dans le creux de la main, le frisson d'un massif de graminées, la saveur poivrée d'une fleur, une plate-bande aux couleurs pétaradantes, ou, tout au contraire, la délicatesse inouïe d'un mixed border de fleurs blanches et de feuillages aussi chlorotiques que les lèvres de certaines pâles jeunes filles du siècle de Balzac, ne renseignent pas sur les dates d'une bataille, ni ne révèlent le nom des formenteurs d'un coup d'Etat, mais ils sont des vecteurs d'émotions incomparables - et que serait l'Histoire, la majuscule Histoire, sans nos émotions minuscules?
D'ailleurs, l'Histoire, on finit toujours par l'écrire sur le papier des arbres."